Agrégé
de philosophie et de science politique. Yves Roucaute est la plume du discours
de Claude Guéant sur l’inégale valeur des civilisations. Il a publié le 5 avril
dernier « Eloge du mode de vie à la Française. The french way of
life » aux Editions du Rocher.
Qu’est
ce qui définit simplement ce « french way of life » dont vous parlez
dans votre livre ?
On peut dire que le mode de vie à la française
est un mode de vie orienté par le salut à la vie. Il est orienté par l’amour de
la vie. Nous avons fondé et créé une société tout à fait particulière qui fait
de la France le premier pays touristique du monde.
Et nous sommes le premier pays à être visité
précisément parce que nous représentons cette joie de vivre. Et cette dernière
est un bien très précieux dont les origines sont indéniablement
judéo-chrétiennes, et qui se résume à cette formule que je mets en exergue dans
le livre qui est : « ceci est très bon ». Les biblistes
reconnaitront ce passage de la Genèse.
Dieu crée le monde et l’humanité. Puis il met
l’humanité à l’ordre de l’amour universel, et « ceci est très bon » !
L’art de vivre à la française, c’est cette
vision humaniste du monde basée avant tout sur l’amour. La France, du matin au
soir, dans sa quotidienneté, dans ses styles de vie, dans ses valeurs, célèbre
l’amour. L’amour de la vie, la joie de vivre. Mais la joie ce n’est jamais que
de l’amour en réalité.
Et
cette construction d’une culture sur l’amour n’existe pas ailleurs ?
Non. La France est le fleuron d’une
civilisation qui prône l’amour universel. Elle est créée sur des valeurs qui
sont des valeurs universelles.
Vous
dites également que la vie à la française implique un savoir. De quel savoir
parle-t-on ?
C’est très important. L’idée est que la nation
française est très particulière. La France a inventé ce qu’on appelle la nation
civique à la différence d’une nation ethnique comme la Chine, la Hongrie,
l’Allemagne. Et c’est sa force.
De Gaulle l’avait souligné à juste titre,
depuis Clovis, nous avons créé une mixité des élites. Il a contraint les nobles
francs de l’époque à se marier avec des non-francs.
Donc, toute la dynastie des Mérovingiens est
mixte, gallo-romaine, germanique, basque etc…
La nation française a donc cimenté toutes ces
ethnies autour des mêmes valeurs. Et c’est là où le concept d’assimilation
devient central. Si les citoyens arrêtaient d’assimiler ces valeurs, la nation
civique et donc la France s’effondrerait. Devenir français implique donc bien
un savoir. Il ne s’agit pas simplement d’aller dans un restaurant français ou
de demander la nationalité, mais bien d’acquérir ces valeurs-là.
La nation civique implique de respecter un
mode de vie, le mode de vie à la française.
Vous
parlez de mode de vie. Mais c’est quoi le mode de vie à la française ?
Est-ce-que cela se résumerait au triptyque : manger, boire et aimer par
exemple ?
Dans mon livre je pars de la quotidienneté. Le
mode de vie à la française c’est d’abord une façon d’être. Cela signifie que
les Français représentent une nation très marquée. J’espère d’ailleurs que les
Français reviendront sur cette quotidienneté.
Prenons le petit déjeuner. Je montre dans le
livre comment le petit déjeuner de chez nous ne ressemble à aucun autre. Prenez
les croissants, les aliments sucrés par exemple, dès le départ c’est une ode à
la vie. On ne pense pas au nombre de calories et de vitamines à ingurgiter.
Tout le monde nous le reproche mais le Français s’en moque. Et il a
raison ! Le sucre c’est bon pour le cerveau et ce n’est pas pour rien s’il
vit plus longtemps que tous les peuples du monde !
D’autres
exemples de cette quotidienneté dont vous parlez ?
La façon de se tenir à table, avec le pliage
des nappes, le positionnement des couverts, le culte du pain et du vin, l’art
de recevoir etc… Tout cela a un sens profond. Et ce qui m’intéressait c’était
de décrire ce sens, les racines de cette vie à la française.
Et tout a une explication. Le couteau tourné
vers l’assiette, c’est un signe de paix. Tout comme la fourchette bombée. Derrière
le geste le plus simple se cache une spiritualité profonde. Je n’ai pas voulu
faire un livre pour expliquer bêtement le mode de vie à la française. J’ai
voulu faire ce livre pour dire aux Français : « ce que vous faites,
cela est très bien et préservez-le ».
Que
pensent les autres pays de ce mode de vie ?
Il est copié partout dans le monde. Ce n’est
pas pour rien si aux Etats-Unis, au Japon, les modes des cafés, des
croissanteries, des boulangeries, se développent. Je veux faire comprendre au
lecteur qu’il doit préserver ce mode de vie, parce que le monde entier
l’envie !
Qu’en
est-il du « style » de vie ?
On vient de voir l’art de la table. Mais c’est
aussi celui de la mode. Les T-shirt, jeans et autres tennis, le Français ne les
a pas découverts avec les premiers touristes américains ! C’est lui qui
les a inventés.
Les vêtements, le parfum, ce n’est pas pour
rien qu’on les a créés puisque c’est aussi une ode à la femme. C’est très
important puisque nous sommes le pays qui, dès le Moyen Age, a inventé l’amour
courtois pour occuper les seigneurs en temps de paix. Et les troubadours
chantaient déjà des odes à l’amour, à la beauté et à la dignité de la femme.
Ça a donné plus tard la galanterie, encore une
chose que tout le monde nous envie.
Ce
style, cette quotidienneté, ces valeurs… Tout cela n’est-il pas dépassé
aujourd’hui ?
La France doute mais ce n’est pas une fatalité.
La raison majeure est que les élites ont oublié de rappeler, de se référer à
cette identité française. Elles ont oublié le grand enseignement de de Gaulle.
Quand il est parti à Londres, le relativisme
gangrénait les esprits en France, et on a vu ce que ça a donné… Et avant de
sauver la France en tant qu’Etat, il a sauvé l’esprit de la France. C’est
indissociable.
Aujourd’hui les élites commettent cette erreur
du laxisme et du relativisme. Ils ont perdu pied sur le sol éthique et ne
parlent plus que d’économie, de politique etc… Et quand on dit comme je l’ai
entendu que tout se vaut, et bien on est dans le relativisme.
Vous
avez justement écrit ce fameux discours de notre ministre de l’Intérieur sur
l’inégale valeur des civilisations. Est-ce-que vous vous attendiez à une telle
volée de bois vert ?
Non car ce que le ministre a dit répond a une
position qui va dans la droite ligne de l’art de vivre à la française. J’ai été
très étonné de voir qu’un député socialiste ait pu intervenir avec l’accord du
PS pour dénoncer une forme de nazisme. Le relativisme a tellement gangréné les
esprits jusqu’aux élus qui devraient plutôt rappeler les fondements de la
France.
Cela ne me choque pas de dire qu’une société
qui autorise le sacrifice humain, comme on le faisait dans les arènes romaines
ou chez les mayas, soit jugée inférieure par rapport à une autre, sur la base
de l’éthique.
Vous
parlez d’éthique française. Est-ce-une forme de conservatisme ?
Oui mais c’est tout le paradoxe. Etre
conservateur aujourd’hui en France, c’est regarder vers l’avenir. Les valeurs
d’amour, d’humanité, de fraternité, de justice sociale sont les valeurs qui
construiront demain. Si on oublie ces valeurs, on perd pied et le pays sombre.
Regardez le modèle américain. C’est un modèle
consumériste, productiviste. Mais c’est un modèle qui oublie de mettre l’humain
au cœur. Et ce modèle aujourd’hui est en crise.
La
solution à la crise serait selon vous le « french way of
life » ?
Oui c’est ce que je pense. Le modèle japonais
a échoué, tout comme le modèle américain. Le modèle qui consiste à dire que
l’on met l’humain au centre des débats, c’est le modèle français. C’est un
modèle de vraie générosité, chez soi et dans le monde. Les French Doctors, les
interventions humanitaires, c’est français. Et on arrive à un point que je
tiens pour essentiel : la France n’est pas seulement le pays des droits de
l’homme, mais celui des devoirs envers l’homme, du respect de l’homme. Mais ce
respect va dans les deux sens...